La technique mixte

Pour tous les amateurs de technique je vous poste cet article qui je l’espère entrouvre de nouvelles portes pour vous. La peinture à l’huile ne se limite pas à quelques tubes et un peu d’essence de térébenthine pour allonger ces couleurs.  Certains effets seraient impossibles à réaliser. Commencer avec un médium (diluant) contenant une base de résine (dammar, siccatif de Harlem, térébenthine de Venise…) est un bon début et pourra suffire pour réaliser quelques glacis, mais sera limité pour certains effets de matière. Certains peintres ont montré une voie différente sur la pratique de la peinture à l’huile. Nicolas Wacker en fait partie . Je vous ai scanné quelques peintures tirées de l’ouvrage « Nicolas Wacker peintre ». Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter cet article


La technique mixte, les noms les plus prestigieux lui sont attachés : les frères Van Eyck, très vraisemblablement, et plus généralement les primitifs flamands : Memling, Van der Weyden, Van des Goes, Bosch ou Brueghelmais aussi, plus tardivement, certains peintres parmi les plus célèbres, à commencer, de manière quasi certaine, par Rembrandt.

En effet, on a tellement répété et on a tellement écrit que la technique de l'huile nécessitait, de manière impérative, d'être menée "gras sur maigre" que la plupart des peintres ont du mal à imaginer cette remise en cause. Et pourtant...

L'exposition des principes de la technique mixte appuyée sur de solides apports théoriques, la démonstration de ses possibilités, et sa mise en œuvre concrète par les débutants eux-mêmes finissent par emporter leur conviction : tous les peintre qui y ont goûté sont devenus des fidèles. La raison en est simple : la technique mixte n'est pas une technique à l'huile parmi tant d'autres, c'est un dépassement de cette technique. Elle peut englober toutes les autres sans les renier.





Aperçu théorique sur la technique mixte

La technique mixte est très certainement apparue en Flandres au cours du XVème siècle. Elle marque la période de transition entre les techniques picturales aqueuses, le plus souvent à la colle ou à l'œuf, et les techniques oléo-résineuses. Dans son ouvrage bien connu, Maroger en décrit une application, du type huile cuite / jaune d'œuf, et attribue celle-ci aux Van Eyck. Cette technique a été peu à peu remplacée par d'autres, oléo-résineuses ou uniquement huileuses, au cours des siècles suivants. Cependant, on peut encore en trouver trace chez des peintres tels Rembrandt, au XVIIème siècle. Ses extraordinaires empâtements auraient très vraisemblablement été posés à l'aide d'une émulsion, d'où leur générosité et, cependant, leur excellente conservation. 

Cette pratique, qui consiste à alterner dans le frais une couche grasse à l'huile, ou à la résine et à l'huile, sur laquelle on superpose une couche maigre à l'émulsion huile et résine / liant aqueux, a été réintroduite en France par Nicolas Wacker, professeur à l'Ecole des Beaux-arts de Paris (ENSBA) dans les années 1970 à 1985.

Sa durabilité est attestée par l'extraordinaire conservation des œuvres peintes selon ce procédé, contrairement à nombre de toiles exécutées postérieurement, uniquement à l'huile, par exemple celles de la fin du XIXème siècle. Pourtant bien plus récentes, l'état de ces dernières fait le pain quotidien de bien des restaurateurs.




Cependant, l'intérêt majeur de la technique mixte tient dans le fait qu'elle permet de dépasser la tyrannique règle du "gras sur maigre". On superpose, en effet, d'abord une couche grasse basée sur l'utilisation d'un médium oléo-résineux, sur laquelle, durant la même séance, on reprend avec  une couche maigre combinant le même médium, mais additionné d'un liant à l'eau. On constitue ainsi une émulsion qui va se fixer par "transfert" de gras, du dessous oléo-résineux, vers le maigre oléo-résineux-aqueux du dessus. Ce faisant, ce procédé "maigre sur gras", mais dans le frais, permet de reprendre aussi longtemps qu'on le souhaite sans risquer de finir l'œuvre, toujours plus grasse, dans un "bain d'huile" jaunissante comme nombre de toiles enfumées produites "gras sur maigre". Titien affirme ainsi avoir pu superposer jusqu'à quarante couches de couleurs ! Bien évidemment, malgré le prestige lié à ce nom, nul n'est obligé d'en faire autant. Il suffit de savoir que, hormis le principe incontournable lié à la superposition dans le frais, cette méthode picturale permet de s'affranchir de toute limite technique. Il devient possible d'exécuter une œuvre en une seule séance, "fa presto", comme en dix ou plus, si le besoin s'en fait sentir.

Il est tout aussi important de bien préciser que la technique mixte n'est pas basée sur un produit spécifique. Elle est donc extrêmement polyvalente. Il est nécessaire, cependant, d'assurer une certaine cohérence entre le médium huileux ou oléo-résineux servant de point de départ, et l'émulsion qui en découle. Nicolas Wacker l'enseignait avec des produits basiques : huile de lin crue ou ensoleillée, résine dammar (produit non connu à l'époque des Van Eyck), œuf entier ou colle à papier peint (produit moderne). 



Pratiquée ainsi, la technique mixte a pu décevoir un certain nombre de peintres, car elle nécessite des interventions parfaitement séquencées : couche grasse unique prise très rapidement, donc difficilement modelable et non remobilisable, suivie d'une couche maigre elle-même posée avec peu de possibilité de reprise. Même si le temps de séchage entre chaque séance est relativement court, leur multiplicité, nécessaire à l'obtention d'un résultat achevé, peut finir par lasser. Et l'œuvre, tant de fois reprise, tend à une facture brouillonne. Certains copistes du Louvre ayant suivi précédemment une formation à la technique mixte basée sur ces mêmes produits ont pu en attester. Il est ainsi regrettable qu'une technique aussi remarquable par le champ des possibles qu'elle ouvre ait pu souffrir d'un certain discrédit.





La question demeure de savoir si Nicolas Wacker ne connaissait pas le fait qu'il fût possible de mettre en œuvre cette technique avec des produits plus performants. Nous n'avons pas de réponse certaine à cette question. On peut cependant douter de son ignorance à ce sujet. Alors, pourquoi cette fixation sur des matériaux aussi basiques ? Nous formulons une hypothèse : dans le contexte d'un enseignement de masse distribué sous la responsabilité d'une école d'Etat et à mettre à la disposition d'étudiants au budget le plus souvent modeste, pouvait-il proposer d'autres solutions ?

Après quelques années de pratique respectueuse de l'enseignement originel de Nicolas Wacker, beaucoup d'artistes ont tenté la mise en œuvre avec des matériaux autrement performants, en particulier ceux dits "thixotropes", produits à l'époque par Lefranc et Bourgeois. Depuis leur disparition dans les années 2000 et leur remplacement par des produits de substitution de même appellation, mais loin d'être équivalents.


Thixotropie peinture
Thixotropie peinture : propriété de certaines peintures en gel à se liquéfier lors de d'une application à la brosse, au pinceau ou au rouleau. La peinture reprend alors sa consistance initiale dés que l'action mécanique par agitation, par pulvérisation ou par application se termine.
La propriété physique principale de la thixotropie est que la peinture se restructure dès qu'elle reste au repos. La viscosité augmente ainsi progressivement au fur et à mesure. Si on n'agite plus la peinture pendant un certain temps, elle tend alors à reprendre sa nature solide.
La thixotropie d'une peinture se déstructure de nouveau si la contrainte mécanique est suffisamment élevée. En effet, elle casse la matière qui vient de se reformer pendant le repos. La viscosité baisse ainsi suite aux différentes sollicitations. Elle finit alors par redevenir liquide de manière provisoire.
Une peinture thixotrope a exactement la même structure qu'un yaourt. Quand on sort un yaourt de son emballage, il donne l'impression d'être une matière solide. Cependant, il devient totalement liquide quand on le brasse énergiquement avec une cuillère. Sa consistance première se transforme au moment de l'agitation. En effet, il passe rapidement d'un état solide à un état liquide. Cependant, ce n'est pas définitif mais seulement momentané. `




A noter aussi que nous avons pris, au fur et à mesure, des libertés par rapport au processus indiqué par Nicolas Wacker. Les connaisseurs pourront le remarquer au développement qui va suivre. Cela suit la logique de notre prise de distance progressive vis-à-vis de son enseignement. Nous en avons retenu le principe essentiel, incontournable, nous le réaffirmons,  de la superposition dans le frais, mais en délaissant les aspects trop formels et contraignants de l'enseignement de Wacker, par exemple l’imprimatur initiale effectuée uniquement au vernis dammar. A l'usage, en effet, nous avions constaté qu'elle tendait à se rediluer si l'on ne prenait pas la précaution de la recouvrir entièrement d'une première couche d'émulsion, ce qui nuisait en même temps, dès le départ, à la transparence des ombres.


Nicolas Wacker
Nicolas Wacker (1897-1987) quitte la Russie en 1922 pour Berlin, où, en sus d'études générales, il suit des cours d'architecture à l'École des Beaux-Arts. Il s'installe en 1926 à Paris et, l'année suivante, expose deux peintures au Salon d’Automne. Il devient l'assistant de Bissière à l'Académie Ranson. En 1936, il expose avec le groupe Témoins, dont Manessier et Etienne-Martin sont membres. Il œuvre à la décoration d'une annexe du Palais de la Découverte. Pendant les années de guerre et jusqu'en 1952, il se réfugie dans le Lot avec les Bissière. De retour à Paris, il travaille en tant que restaurateur de peintures. De 1969 à 1982, il enseigne les techniques picturales dans l'atelier qu'il a spécialement installé à cet effet à l'École des Beaux-Arts de Paris.
Son œuvre des années 1920 et 1930 est profondément marquée par Bissière mais aussi par Braque. De 1962 à 1964, il produit une centaine de peintures de petit format, exécutées spontanément au jour le jour, à la manière d'un journal. Paul Klee eut également une profonde influence sur lui, en particulier dans son œuvre la plus tardive.

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